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5 juin 2017

Nouveau dictionnaire biographique des flibustiers français

Pour ceux qui s'intéressent sérieusement aux flibustiers, le nom de Jacques Gasser n'est pas inconnu. Ici et là, dans quelques revues savantes, vous avez peut-être lu ses textes sur le sujet. Si non, vous avez vu son nom cité par d'autres auteurs qui ont traité de la piraterie, car son travail est devenu, au fil des ans, une référence dans le domaine. En effet, depuis une trentaine d'années, cet infatigable travailleur de l'ombre traque les flibustiers français des Antilles dans les dépôts d'archives, de Paris à Séville, en passant par Londres et Amsterdam. 

Jacques Gasser nous propose aujourd'hui une partie des résultats de cette quête. Il avait déjà rédigé plusieurs des notices des flibustiers français du Dictionnaire des corsaires et pirates édité par le CNRS en 2013 sous la direction de MM. Gilbert Buti et Philippe Hrodej. Maintenant, il publie son propre Dictionnaire des flibustiers des Caraïbes, justement sous-titré « corsaires et pirates français au XVIIème siècle ». En effet, ici ce dont il est question ce sont bien majoritairement des Français qui ont été flibustiers à la Tortue, Saint-Domingue et la Martinique, à qui viennent se greffer quelques étrangers (Anglais, Néerlandais ou Espagnols) qui leur ont été associés. L'on y retrouvera évidemment des figures emblématiques de la flibuste, popularisées dès le 17e siècle par le livre d'Exquemelin, telles que L'Olonnais et son associé Michel d'Aristigny, le sieur de Grammont, Laurent De Graffe ou encore Étienne Montauban, mais aussi des chefs moins connus tels que Michel Andresson, François Trébutor, Jean Tocard, Pierre Bréha, Pierre Godefroy, Jean Fantin ou Cornelius Kelly. Aux côtés des capitaines, le lecteur découvrira également quelques officiers et hommes d'équipage. Par exemple, ceux de la compagnie du capitaine François Rolle, qui ont passé près d'une décennie dans la mer du Sud, sortent enfin de l'ombre. C'est d'ailleurs l'un des intérêts de ce dictionnaire : présenter au public ces personnages obscurs de la flibuste, qui ne sont parfois connu que par un seul événement de leur carrière. C'est aussi l'occasion pour l'auteur de montrer toute son érudition sur le sujet, et de nous raconter, dans un style vivant et accessible, telle expédition contre une place espagnole ou telle capture de navire, ponctuant alors son récit de citations provenant de flibustiers eux-mêmes ou de leurs contemporains.

Nul doute, ce dictionnaire fera date dans la recherche historique sur les flibustiers des Antilles.

Jacques Gasser. Dictionnaire des flibustiers des Caraïbes : corsaires et pirates français au XVIIème siècle. Les Sables d'Olonne: Éditions de Beaupré, 2017, 510 p. — http://www.editionsdebeaupre.fr/shop/dico-des-flibustiers/

R.L.

2 avril 2017

Diego Lucifer, renégat espagnol et flibustier néerlandais


Diego Lucifer (né Diego de Los Reyes) compte parmi les personnages les plus étonnants de l'histoire de la piraterie en Amérique. D'abord et avant tout parce que c'est un Noir — ou plus exactement un Mulâtre, car il n'est qu'à moitié d'origine africaine — qui, grâce à ses qualités et à force d'ambition, est parvenu à devenir capitaine corsaire. En cela, il fait figure d'exception puisqu'à l'époque où il évolue (1632-1643), il est le seul noir ou mulâtre, recensé jusqu'ici, à avoir commandé des Blancs en mer et à s'être hissé jusqu'à cette position, quoique mineure, mais néanmoins relativement prestigieuse pour un homme de « naissance commune », autrement dit ni noble ni bourgeois, et ce nonobstant la couleur de sa peau.

L'époque de Diego Lucifer, c'est celle où les colonies françaises et anglaises récemment fondées dans les Petites Antilles, connaissaient une forte croissance, notamment à Saint-Christophe et à la Barbade. Celle aussi où les escadres de la Geoctroyeerde Westindische Compagnie (ci-après « la GWC ») dominaient encore la mer des Antilles, particulièrement la côte de La Havane, cherchant à faire main basse sur l'une des deux flottes aux trésors espagnoles, nommément Les Galions et la Flotte de la Nouvelle-Espagne. Époque où la même GWC consolidait ses acquits au Brésil et faisait la conquête de Curaçao. Celle encore où la Providence Island Company colonisait les îles inhabitées de Santa Catalina et San Andrés, au large des côtes du Nicaragua, et prenait sous sa protection l'éphémère première colonie de la l'île de la Tortue, à la côte nord-ouest de Saint-Domingue. Époque enfin où cette dernière île et sa lointaine associée Santa Catalina (rebaptisée Providence) servaient de ports de relâche occasionnels aux aventuriers courant sus aux Espagnols, préfigurant les établissements plus achevés du même genre que formeront les Anglais à la Jamaïque et les Français dans la partie occidentale de Saint-Domingue, établissements qui accueilleront ces corsaires ou pirates que l'on commencera bientôt à appeler, en français, « fribustiers » ou « flibustiers ».

À plus d'un titre, Diego Lucifer préfigure ces flibustiers qui, à partir des bases qu'ils auront en Amérique, feront une guerre continuelle par mer et par terre aux Espagnols, sans être obligés de retourner désarmer en Europe. Navigateur chevronné de la mer des Antilles et du golfe du Mexique, il fréquente les colonies de Curaçao et de Saint-Christophe, et sans doute aussi celles de la Tortue et la Providence, et vers la fin de sa carrière, il séjourne très longtemps dans les îles du golfe du Honduras, d'où il attaque navires et petites villes espagnoles. Enfin, il est lui-même d'origine « américaine ». Il est un criollo — un « créole » — comme disent alors les Espagnols, qui sont ses compatriotes parce qu'il est né sujet du roi d'Espagne. C'est donc un traitre, ou plus correctement un renégat, qui s'est jeté lui-même parmi les Néerlandais, l'ennemi hérétique, qu'il a d'abord servi quelques années à bord des navires de guerre de la GWC avant d'obtenir le commandement d'un corsaire hollandais.

Du vivant même de Diego Lucifer, plusieurs choses inexactes, ou plus ou moins vraies, ont circulé sur son compte, rumeurs que le principal intéressé n'a apparemment pas cherché à démentir ni à corriger, et qu'il a peut-être lui-même contribué à répandre. Ce texte tente de rétablir certains faits le concernant à partir de documents d'archives ou de relations anciennes qui ont été négligées jusqu'à maintenant ou qui n'étaient pas disponibles ou accessibles précédemment. Dans cette entreprise, j'ai d'ailleurs suivi comme guide la relation inédite d'un Espagnol qui a connu Diego Lucifer. En dépit du fait que l'auteur s'y montre fort complaisant envers son sujet, cette relation m'a permis d'aller de découvertes en découvertes, et de lever un peu le voile sur la carrière d'un personnage mythique, le rendant ainsi plus humain, mais non moins fascinant.

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R. L.