mes textes disponibles via Blogger

17 septembre 2021

Notes de lecture : L'Enfer de la flibuste, seconde mouture

L'Enfer de la flibuste : page de couverture

L'Enfer de la flibuste : Pirates français dans la mer du Sud
Textes rassemblés et présentés par Frantz Olivié et Raynald Laprise
Édition augmentée
480 pages (12,5 x 20 cm)
Toulouse: Éditions Anacharsis, 2021
ISBN : 9791092011890
http://www.editions-anacharsis.com/L-Enfer-de-la-flibuste-2


Il y a cinq ans, j'ai collaboré à un livre intitulé L'Enfer de la flibuste. Cet ouvrage racontait les aventures en mer du Sud (autre nom de l'océan Pacifique) d'une centaine de flibustiers français, durant près d'une décennie (1686-1695), sous la conduite du capitaine François (alias Franc) Rolle, originaire de Flessingue, en Zélande. Il s'articulait autour d'une relation décrivant les premières années de cette expédition et formant la première partie du volume 385 du Fonds Français, du Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, relation alors toujours considérée comme anonyme, ou à tout le moins dont l'identité de l'auteur était encore sujet à spéculations, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui (ce que je démontrerai dans une future publication). Comme je l'écrivais à l'époque, ma contribution s'était limitée à fournir à Frantz Olivié, auteur et éditeur du livre, plusieurs transcriptions de documents espagnols que j'avais faites pour mes propres travaux, et à partager avec lui mes constats quant à cette expédition particulière des flibustiers.

Environ un an après la publication de L'Enfer de la flibuste, je mettais la main sur une relation inédite de ce voyage en mer du Sud, et tout aussi exceptionnelle que celle anonyme du Français 385. Elle avait été, elle aussi, rédigée par l'un des hommes du capitaine Rolle, mais contrairement à l'autre manuscrit, elle couvrait l'ensemble du voyage. Conservé à la Huntington Library, à San Marino, en Californie, sous la cote mssHM 58286, ce manuscrit s'intitule Extrait du journal de Me Charles, Dieppois, flibustier, sur son voyage dans la mer du Sud, grossi de plusieurs particularités et de plusieurs connaissances qui sont venues par lui et ses camarades, qui en sont revenus par le détroit de Magellan. Après plusieurs échanges avec Frantz Olivié au sujet de cette découverte, il accepta de la publier dans une seconde édition de son Enfer de la flibuste.

Or, cette seconde édition est maintenant disponible, et comme on peut le lire sur sa page de couverture, il s'agit bel et bien d'une édition « augmentée ». En effet, elle compte environ 150 pages de plus que la précédente, notamment, bien sûr, à cause de la nouvelle relation, mais c'est beaucoup plus que cela. En effet, ce que contenait le journal du flibustier Charles (qui y a été ajouté) ainsi que d'autres documents découverts dans le même temps, ou auxquels nous n'avions pas accès en 2016, ont obligé Frantz Olivié à réviser entièrement L'Enfer de la flibuste, tâche à laquelle je l'ai assisté, avec zèle, de toute mon érudition sur le sujet. Cet exercice de révision ne fut pas une sinécure, pas plus d'ailleurs que la transcription d'un vieux document dont l'encre s'était beaucoup estompée avec le temps, encre qui était d'ailleurs de très mauvaise qualité, comme s'en plaignait déjà le missionnaire jésuite de Cayenne qui a copié ce texte, dont l'original est aujourd'hui perdu.

Hormis d'ajouter des éléments inédits servant à la compréhension et la reconstruction du voyage du capitaine Rolle et de ses compagnons, l'intérêt de la relation journalière (car il ne s'agit pas d'un véritable journal) de ce pilote flibustier nommé Charles réside dans la série d'anecdotes de leur quotidien dont elle est parsemée. L'on pourrait certes qualifier certaines de ces anecdotes de futilités, par exemple, lorsqu'il raconte qu'une dent de sagesse pousse à un vieux flibustier édenté à la stupéfaction générale. Pourtant c'est nous qui seront plutôt étonnés d'apprendre que ces hommes se préoccupaient de mode pour ne pas passer pour des gueux à leur retour en territoire français, et en conséquence, de les voir s'improviser couturiers, tailleurs et chapeliers. Peut-être s'agissait-il pour eux de tuer le temps, qui peut être très long en mer, les empêchant, du moins certains d'entre eux, de sombrer dans le jeu, qui pouvait se révéler un véritable fléau à bord.

Charles confirme, par ailleurs, ce que l'on savait déjà par d'autres quant aux pratiques des flibustiers, par exemple les généreuses indemnités dévolues aux estropiés. De même, le peu d'obéissance que les hommes ont envers leur capitaine, et c'est ainsi que François Rolle, pour assoir son autorité, doit à l'occasion menacer de mort les siens, ici pour réfréner leurs ardeurs lors d'une descente contre une place espagnole, là pour faire avorter une presque mutinerie... dont Charles lui-même est l'un des meneurs! De cet esprit réfractaire à l'autorité, le pilote en donne un autre exemple personnel lorsqu'il explique pourquoi il ne voulait pas retourner à Saint-Domingue, nostalgique d'une époque pas si lointaine où tout, là-bas, n'était pas encore si réglé et ordonné. L'on y notera aussi comment les flibustiers pratiquaient, entre eux, une justice sommaire et expéditive qui donne froid dans le dos. Faut-il s'en étonner en ce XVIIe siècle où la torture est intégrée à la procédure judiciaire, et où les peines encourues par les accusés peuvent être particulièrement horribles.

Évidemment, au chapitre des atrocités, les flibustiers ne le cèdent en rien à leurs contemporains car, lorsque réduits à la dernière extrémité, ils savent faire preuve d'une cruauté inouïe... d'autant plus détestable qu'elle est exercée contre des femmes sans défense. Il est vrai que, dans cet univers essentiellement masculin, les femmes se voient presque toujours assigner le rôle de victimes, mais des victimes jugées parfois trop complaisantes envers leurs « tortionnaires ». C'est ainsi que, lors d'un combat contre un navire de guerre espagnol, les bonnes dames du bourg d'Acaponeta et leurs servantes, captives de ces pirates, aident le chirurgien du bord à soigner les blessés. Toutefois, ce n'est pas pour une quelconque attirance pour ces écumeurs des mers. Non! C'est parce qu'elles s'indignent du peu de considération que leurs propres compatriotes ont pour leurs vies contrairement à leurs ravisseurs! Mais, si les flibustiers se préoccupent tant de ces prisonnières, c'est avant tout, bien entendu, par intérêt. Cet intérêt qui guide leurs actions, la religion, omniprésente, vient parfois le modérer. En bons catholiques — du moins ceux qui le sont, et c'est apparemment la majorité —, s'ils ne respectent pas les vases sacrés qu'ils pillent parce qu'ils sont en argent ou en or, ils prennent un soin extrême à ne pas profaner leur contenu. En revanche, les serviteurs de Dieu sont des hommes comme les autres. Ainsi, il est dans l'ordre des choses de mutiler un moine pour activer le paiement d'une rançon ou d'en frapper un autre pour le punir d'avoir voulu s'échapper. Mais, après avoir corrigé ce dernier, ils ne peuvent que plaindre ce bon père d'être tombé entre leurs mains et d'endurer, tout comme eux, tant de misères. Voilà donc ces hommes, violents certes, cruels parfois, mais aussi capables d'une certaine compassion.

Le pilote Charles montre aussi que le quotidien des flibustiers était loin d'être toujours tragique ou dramatique. Pour preuve, le tour pendable qu'ils jouent aux gardiens d'un magasin en bord de mer pour leur faire ravaler les injures dont ceux-ci les abreuvaient, et dont même les victimes s'amuseront. Et si l'adversaire leur rend la pareille, comme cet Espagnol flegmatique qui parvient à les détourner d'une riche prise, ils savent se montrer beaux joueurs. Comment ne pas sourire, encore, à la lecture de cet épisode où s'attablant pour savourer quelque plat encore chaud dans une maison qu'ils viennent d'investir, ils découvrent, dégoûtés, que ce repas providentiel était beaucoup trop pimenté à leur goût. Même à trois siècles de distance, ces hommes ne sont pas si différents de nous... après tout.

Mais comme je l'ai dit, si ce journal constitue l'ajout principal fait à L'Enfer de la flibuste, la nouvelle mouture de celui-ci ne contient pas que cela, car à mon avis — intéressé, il est vrai —, il s'agit d'un tout nouveau livre.

Pour tous ceux que l'« aventure » pourrait tenter, le livre est déjà disponible en version papier, pour moins de 25 euros. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site des Éditions Anacharsis, à l'adresse http://www.editions-anacharsis.com/L-Enfer-de-la-flibuste-2, ou directement sur la page consacrée à l'ouvrage sur celui des Libraries indépendantes pour le commander, si vous êtes en France, chez votre libraire favori. L'ouvrage devrait être éventuellement disponible en version numérique, et en Amérique du Nord (au Canada), sa sortie est prévue pour le mois prochain. Notez toutefois qu'au moment où j'écris ces lignes, la première édition de L'Enfer de la flibuste est toujours disponible en version numérique, alors assurez-vous de vous procurer la bonne édition, celle portant notamment en sous-titre les mots, « Pirates français dans la mer du Sud » et « Édition augmentée ».

Ce livre n'est pas le seul consacré à la piraterie que propose Anacharsis. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter son dépliant promotionnel à ce sujet, Pirates aux mille visages : Le fictif et le réel dans l'histoire des aventuriers des mers.

À ceux qui s'y risqueront, bonne lecture!

1 commentaire:

  1. C 'est très très prometteur!
    je me délecte d 'avance
    Jean-Pierre Moreau

    RépondreSupprimer