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21 décembre 2021

Douce revanche... pour un rancunier

pavillon noir

Il y a environ vingt ans, lors d'un séjour en France, j'avais acheté un livre intitulé D'or, de rêve et de sang : l'épopée de la flibuste, 1494-1588, qui promettait d'être le premier d'une série racontant l'histoire des flibustiers. Or, la suite n'est jamais venue... Pourquoi? Parce que l'auteur fut peu après reconnu coupable de plagiat « partiel », comme le résume la professeure de littérature Hélène Maurel-Indart sur son site Plagiat.net. La victime fut Mickael Augeron, maître de conférences en histoire moderne et contemporaine à la Faculté des Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines de l’Université de La Rochelle.

Si le professeur Augeron fut le seul plaignant dans cette affaire, je doute qu'il ait été la seule victime... ou à tout le moins, si la série s'était poursuivie, il y a fort à parier qu'il y en aurait eu d'autres...

Le plagiaire, Michel Le Bris, est décédé l'année dernière, voilà environ un an. Écrivain prolifique, il a laissé derrière lui une volumineuse production littéraire... dont cet ouvrage litigieux. On peut légitimement se poser la question si pour feu M. Le Bris, chevalier de la prestigieuse Légion d'honneur, commandeur des Arts et des Lettres, ce plagiat n'était qu'une erreur de parcours... ou si c'était une habitude. On pourrait évidemment arguer qu'il a fait beaucoup pour la promotion de la littérature du voyage, qu'il écrivait bien, que c'était un homme engagé, qu'il était sympathique, voire « formidable » comme l'écrivait un lecteur indigné par le billet d'un blog dont l'auteur retenait, comme moi, de la longue carrière littéraire du défunt, son plagiat qui entachait l'ensemble de son oeuvre. Oui, on pourrait facilement dédouaner M. le commandeur Le Bris, mais moi, je n'ai ni l'intention ni l'envie de le défendre ici... et voici pourquoi.

Moins de dix ans après l'achat de ce livre, j'étais moi-même victime d'un plagiat d'une ampleur sans précédent : tout le contenu du Diable Volant, incluant des textes de mes correspondants Jacques Gasser et Roberto Barazzutti, fut entièrement copier et coller pour former l'essentiel, et plus de 90%, d'un livre publié encore par un soi-disant journaliste nommé Jean-Jacques Seymour. Cet individu-là a eu assez de culot pour copier le tout puis de le restituer tel quel dans son livre, jusqu'aux fautes d'orthographes, tout en prenant bien soin d'effacer les noms des auteurs légitimes des textes qu'il a piratés... et évidemment toute référence au Diable Volant.

Cela ne lui a pas suffi, puisqu'il lui fallait affirmer haut et fort la paternité de l'ensemble, ajoutant ainsi le mensonge au plagiat. C'est son éditeur qui s'est chargé de cette ultime bassesse :

« En 5 ans, [J.-J. Seymour] a travaillé près de 6 000 documents, s’est rendu sur les lieux des batailles à Cuba, à Saint-Domingue, dans les musées qui portent témoignages à Boston, La Havane, Paris, la Barbade, la Jamaïque. Il a pu consulter des archives inexploitées. Les Chemins des proies consacrent ces années de recherche en offrant une autre histoire de la flibuste. »

Pourquoi, ne les ai-je pas poursuivis, lui et son éditeur? Pour une simple question d'argent... car comme tout le monde le sait, la Justice a un coût. D'ailleurs, ni le plagiaire ni son éditeur n'avaient fait cas des courriels de protestation que je leur avais écrits à l'époque (novembre 2010) dès que j'avais été informé du plagiat. Un silence qui en disait long, tant sur l'un que sur l'autre, ce qui n'a pas empêché un professeur de littérature bien connu ici, de m'écrire pour se porter pathétiquement à la défense de l'éditeur.

Si le livre imprimé ne semble plus exister depuis longtemps, on peut encore en acheter une copie numérique dans les pays de langue française, dont le mien et la France. Et par hasard, il y a quelques mois, j'ai finalement mis la main sur une copie au format PDF du plagiat en question, et j'ai pu enfin, par moi-même, constater toute l'ampleur de cet acte de « piraterie », de ce grand « copier/coller » exécuté par un menteur, un usurpateur du travail d'autrui, un homme indigne d'être honoré pour son travail intellectuel! Une Légion d'honneur avec ça?

Alors je l'offre ici, gratuitement, au lecteur, parce que — je suis bien obligé de le dire — j'en suis le véritable auteur, bien malgré moi :

Le lecteur pourra aussi comparer son contenu avec celui du Diable Volant tel qu'il apparaissait en 2008-2009, vers le moment du plagiat, et se faire ainsi une idée par lui-même de l'étendu de ce dernier :

Pour le reste, je demeure prêt à croiser le fer avec le plagiaire ou ses complices, éditeurs ou libraires qui continuent de faire de l'argent sur mes travaux, à mes dépens... évidemment s'ils en ont le courage... car si la Justice a un coût, je suis convaincu qu'Elle n'est pas pour autant... aveugle!

10 novembre 2021

Des flibustiers en mer Rouge, deuxième partie : le voyage de Thomas Tew en 1693

Tew tel qu'imaginé par Howard Pyle, 1894
Tew tel qu'imaginé par Howard Pyle, 1894

En avril dernier — déjà —, je consacrais ici une publication (et du même coup, je proposais un texte) concernant le voyage du capitaine Rayner et de sa compagnie dans l'Océan Indien, en 1691. Aujourd'hui, je récidive sur le même sujet, celui des « hommes de la mer Rouge ». Cette fois, je m'attaque à un plus gros morceaux : le premier voyage dans cette mer du capitaine Thomas Tew, l'un des flibustiers préférés des historiens américains.

En effet, Tew est considéré comme l'un des plus fameux pirates anglais de la fin du XVIIe siècle, pas très loin derrière Henry Every, auquel il fut brièvement associé, et William Kidd, qui fut paradoxalement chargé de leur donner la chasse, et qui, à la fin, versa lui-même dans la piraterie. Il fit deux voyages en mer Rouge, le premier en 1693, et le second en 1695, au cours duquel il trouva la mort. C'est surtout le premier de ces deux voyages qui contribua à sa notoriété, et ce de son vivant même, mais il demeure très mal connu.

À son sujet, les ouvrages traitant des pirates américains se contentent habituellement de citer l'Histoire générale des pirates, du capitaine Johnson, et les mêmes sources britanniques accessibles depuis plus d'un siècle. Pourtant, quelques documents conservés aux archives de l'État du Massachusetts, jumelés à d'autres provenant des archives des Pays-Bas, permettent de lever une partie du mystère entourant cette première expédition. C'est ce que je propose dans un nouveau texte intitulé Le premier voyage de Thomas Tew en mer Rouge (1693) : une réévaluation selon de nouveaux documents.


And now for my few English speaking readers (especially those from the United States of America), some attempt of a translation of the above, and if something is incomprehensible, blame Google Translate for it!

Privateers in the Red Sea, part II : Thomas Tew's voyage (1693)

In April last, I posted here a text about the voyage of Captain George Rayner and his company in the Indian Ocean, in 1691 (and no his ship The Bachelors Delight was not the same one commanded by Captain Edward Davis in the South Sea, contrary to what it is written in Wikipedia). Today, I do it again on the same matter, namely the "Red Sea men". This time, the subject is a little bigger than the preceeding one : the first venture performed in this sea by Captain Thomas Tew, one of the favorite buccaneers of American historians, and the so-called "Rhode Island pirate".

Indeed, Tew is considered one of the most famous English pirates in the last decade of the 17th Century, not very far behind Henry Every, with whom he was briefly associated, and William Kidd, who was paradoxically responsible for giving them chase, and who, in the end, became himself a pirate. As pirates fans well knows, Tew made two voyages to the Red Sea, the first one in 1693, and the second one in 1695, during which last voyage he was killed. However, it was especially the first of these two voyages that contributed to his notoriety, even during his lifetime, but it remains very little known.

About Tew's first voyage, American historians are usually satisfied with quoting the General History of the Pirates, by Captain Johnson, and the same British sources available for more than a century. However, a few documents preserved in the Massachusetts State Archives, along with others from the National Archives of the Netherlands, allow part of the mystery surrounding Tew's first expedition to be solved. This is what I propose in a new text entitled Le premier voyage de Thomas Tew en mer Rouge (1693) : une réévaluation selon de nouveaux documents.

10 octobre 2021

Qui était Étienne Massertie?

Page des manuscrits de Massertie

De 1687 à 1694, une centaine de flibustiers français hantèrent la façade pacifique des Amériques, du Chili à la Californie. À son retour en France, l'un d'entre eux proposa à la Couronne un armement en course pour aller faire la guerre aux Espagnols dans cette « mer du Sud ». Pour ce faire, il avait entre autres monté une sorte de dossier d'affaires, constitué de divers documents qu'il avait produits alors qu'il était flibustier.

Dans un texte publié dans la revue HISTOIRE(S) de l'Amérique latine (HISAL), je propose une étude succincte des papiers que cet homme a laissés et qui sont maintenant conservés à la Bibliothèque nationale de France. J'y identifie aussi formellement ce flibustier comme étant Étienne Massertie. Je discuste également dans ce texte l'intérêt de ces documents à l'époque de leur rédaction.

Ce texte peut être lu, au format PDF, sur le site de la revue HISAL :

Raynald Laprise, « Lorsque les flibustiers prenaient la plume : le dossier "Massertie" », HISTOIRE(S) de l'Amérique latine, 14, no 5 (2021), 20 p.

Le principal texte de Massertie a fait l'objet de plusieurs publications. Il est d'ailleurs l'un des deux principaux textes d'époque présentés dans l'édition augmentée de L'Enfer de la flibuste : Pirates français dans la mer du Sud, paru récemment aux Éditions Anarchasis.

17 septembre 2021

Notes de lecture : L'Enfer de la flibuste, seconde mouture

L'Enfer de la flibuste : page de couverture

L'Enfer de la flibuste : Pirates français dans la mer du Sud
Textes rassemblés et présentés par Frantz Olivié et Raynald Laprise
Édition augmentée
480 pages (12,5 x 20 cm)
Toulouse: Éditions Anacharsis, 2021
ISBN : 9791092011890
http://www.editions-anacharsis.com/L-Enfer-de-la-flibuste-2


Il y a cinq ans, j'ai collaboré à un livre intitulé L'Enfer de la flibuste. Cet ouvrage racontait les aventures en mer du Sud (autre nom de l'océan Pacifique) d'une centaine de flibustiers français, durant près d'une décennie (1686-1695), sous la conduite du capitaine François (alias Franc) Rolle, originaire de Flessingue, en Zélande. Il s'articulait autour d'une relation décrivant les premières années de cette expédition et formant la première partie du volume 385 du Fonds Français, du Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, relation alors toujours considérée comme anonyme, ou à tout le moins dont l'identité de l'auteur était encore sujet à spéculations, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui (ce que je démontrerai dans une future publication). Comme je l'écrivais à l'époque, ma contribution s'était limitée à fournir à Frantz Olivié, auteur et éditeur du livre, plusieurs transcriptions de documents espagnols que j'avais faites pour mes propres travaux, et à partager avec lui mes constats quant à cette expédition particulière des flibustiers.

Environ un an après la publication de L'Enfer de la flibuste, je mettais la main sur une relation inédite de ce voyage en mer du Sud, et tout aussi exceptionnelle que celle anonyme du Français 385. Elle avait été, elle aussi, rédigée par l'un des hommes du capitaine Rolle, mais contrairement à l'autre manuscrit, elle couvrait l'ensemble du voyage. Conservé à la Huntington Library, à San Marino, en Californie, sous la cote mssHM 58286, ce manuscrit s'intitule Extrait du journal de Me Charles, Dieppois, flibustier, sur son voyage dans la mer du Sud, grossi de plusieurs particularités et de plusieurs connaissances qui sont venues par lui et ses camarades, qui en sont revenus par le détroit de Magellan. Après plusieurs échanges avec Frantz Olivié au sujet de cette découverte, il accepta de la publier dans une seconde édition de son Enfer de la flibuste.

Or, cette seconde édition est maintenant disponible, et comme on peut le lire sur sa page de couverture, il s'agit bel et bien d'une édition « augmentée ». En effet, elle compte environ 150 pages de plus que la précédente, notamment, bien sûr, à cause de la nouvelle relation, mais c'est beaucoup plus que cela. En effet, ce que contenait le journal du flibustier Charles (qui y a été ajouté) ainsi que d'autres documents découverts dans le même temps, ou auxquels nous n'avions pas accès en 2016, ont obligé Frantz Olivié à réviser entièrement L'Enfer de la flibuste, tâche à laquelle je l'ai assisté, avec zèle, de toute mon érudition sur le sujet. Cet exercice de révision ne fut pas une sinécure, pas plus d'ailleurs que la transcription d'un vieux document dont l'encre s'était beaucoup estompée avec le temps, encre qui était d'ailleurs de très mauvaise qualité, comme s'en plaignait déjà le missionnaire jésuite de Cayenne qui a copié ce texte, dont l'original est aujourd'hui perdu.

Hormis d'ajouter des éléments inédits servant à la compréhension et la reconstruction du voyage du capitaine Rolle et de ses compagnons, l'intérêt de la relation journalière (car il ne s'agit pas d'un véritable journal) de ce pilote flibustier nommé Charles réside dans la série d'anecdotes de leur quotidien dont elle est parsemée. L'on pourrait certes qualifier certaines de ces anecdotes de futilités, par exemple, lorsqu'il raconte qu'une dent de sagesse pousse à un vieux flibustier édenté à la stupéfaction générale. Pourtant c'est nous qui seront plutôt étonnés d'apprendre que ces hommes se préoccupaient de mode pour ne pas passer pour des gueux à leur retour en territoire français, et en conséquence, de les voir s'improviser couturiers, tailleurs et chapeliers. Peut-être s'agissait-il pour eux de tuer le temps, qui peut être très long en mer, les empêchant, du moins certains d'entre eux, de sombrer dans le jeu, qui pouvait se révéler un véritable fléau à bord.

Charles confirme, par ailleurs, ce que l'on savait déjà par d'autres quant aux pratiques des flibustiers, par exemple les généreuses indemnités dévolues aux estropiés. De même, le peu d'obéissance que les hommes ont envers leur capitaine, et c'est ainsi que François Rolle, pour assoir son autorité, doit à l'occasion menacer de mort les siens, ici pour réfréner leurs ardeurs lors d'une descente contre une place espagnole, là pour faire avorter une presque mutinerie... dont Charles lui-même est l'un des meneurs! De cet esprit réfractaire à l'autorité, le pilote en donne un autre exemple personnel lorsqu'il explique pourquoi il ne voulait pas retourner à Saint-Domingue, nostalgique d'une époque pas si lointaine où tout, là-bas, n'était pas encore si réglé et ordonné. L'on y notera aussi comment les flibustiers pratiquaient, entre eux, une justice sommaire et expéditive qui donne froid dans le dos. Faut-il s'en étonner en ce XVIIe siècle où la torture est intégrée à la procédure judiciaire, et où les peines encourues par les accusés peuvent être particulièrement horribles.

Évidemment, au chapitre des atrocités, les flibustiers ne le cèdent en rien à leurs contemporains car, lorsque réduits à la dernière extrémité, ils savent faire preuve d'une cruauté inouïe... d'autant plus détestable qu'elle est exercée contre des femmes sans défense. Il est vrai que, dans cet univers essentiellement masculin, les femmes se voient presque toujours assigner le rôle de victimes, mais des victimes jugées parfois trop complaisantes envers leurs « tortionnaires ». C'est ainsi que, lors d'un combat contre un navire de guerre espagnol, les bonnes dames du bourg d'Acaponeta et leurs servantes, captives de ces pirates, aident le chirurgien du bord à soigner les blessés. Toutefois, ce n'est pas pour une quelconque attirance pour ces écumeurs des mers. Non! C'est parce qu'elles s'indignent du peu de considération que leurs propres compatriotes ont pour leurs vies contrairement à leurs ravisseurs! Mais, si les flibustiers se préoccupent tant de ces prisonnières, c'est avant tout, bien entendu, par intérêt. Cet intérêt qui guide leurs actions, la religion, omniprésente, vient parfois le modérer. En bons catholiques — du moins ceux qui le sont, et c'est apparemment la majorité —, s'ils ne respectent pas les vases sacrés qu'ils pillent parce qu'ils sont en argent ou en or, ils prennent un soin extrême à ne pas profaner leur contenu. En revanche, les serviteurs de Dieu sont des hommes comme les autres. Ainsi, il est dans l'ordre des choses de mutiler un moine pour activer le paiement d'une rançon ou d'en frapper un autre pour le punir d'avoir voulu s'échapper. Mais, après avoir corrigé ce dernier, ils ne peuvent que plaindre ce bon père d'être tombé entre leurs mains et d'endurer, tout comme eux, tant de misères. Voilà donc ces hommes, violents certes, cruels parfois, mais aussi capables d'une certaine compassion.

Le pilote Charles montre aussi que le quotidien des flibustiers était loin d'être toujours tragique ou dramatique. Pour preuve, le tour pendable qu'ils jouent aux gardiens d'un magasin en bord de mer pour leur faire ravaler les injures dont ceux-ci les abreuvaient, et dont même les victimes s'amuseront. Et si l'adversaire leur rend la pareille, comme cet Espagnol flegmatique qui parvient à les détourner d'une riche prise, ils savent se montrer beaux joueurs. Comment ne pas sourire, encore, à la lecture de cet épisode où s'attablant pour savourer quelque plat encore chaud dans une maison qu'ils viennent d'investir, ils découvrent, dégoûtés, que ce repas providentiel était beaucoup trop pimenté à leur goût. Même à trois siècles de distance, ces hommes ne sont pas si différents de nous... après tout.

Mais comme je l'ai dit, si ce journal constitue l'ajout principal fait à L'Enfer de la flibuste, la nouvelle mouture de celui-ci ne contient pas que cela, car à mon avis — intéressé, il est vrai —, il s'agit d'un tout nouveau livre.

Pour tous ceux que l'« aventure » pourrait tenter, le livre est déjà disponible en version papier, pour moins de 25 euros. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site des Éditions Anacharsis, à l'adresse http://www.editions-anacharsis.com/L-Enfer-de-la-flibuste-2, ou directement sur la page consacrée à l'ouvrage sur celui des Libraries indépendantes pour le commander, si vous êtes en France, chez votre libraire favori. L'ouvrage devrait être éventuellement disponible en version numérique, et en Amérique du Nord (au Canada), sa sortie est prévue pour le mois prochain. Notez toutefois qu'au moment où j'écris ces lignes, la première édition de L'Enfer de la flibuste est toujours disponible en version numérique, alors assurez-vous de vous procurer la bonne édition, celle portant notamment en sous-titre les mots, « Pirates français dans la mer du Sud » et « Édition augmentée ».

Ce livre n'est pas le seul consacré à la piraterie que propose Anacharsis. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter son dépliant promotionnel à ce sujet, Pirates aux mille visages : Le fictif et le réel dans l'histoire des aventuriers des mers.

À ceux qui s'y risqueront, bonne lecture!

26 avril 2021

Des flibustiers en mer Rouge (1691)

Mon dernier article publié sur ce blog faisait référence au pirate Henry Every. Il est bon de savoir que ce capitaine, ses associés et leurs hommes, dont plusieurs étaient des flibustiers, ne furent pas les premiers à se risquer à piller les sujets du Grand Moghol en mer Rouge. Avant eux, il y eut le capitaine George Rayner et ses compagnons.

À l'été 2020, j'avais rédigé quelques notes de recherche sur cette expédition antérieure à celle d'Every. C'était à la demande de Jacques Gasser, quelques mois avant son décès. Elles étaient destinées à lui servir pour la rédaction de son dernier projet, « Les pirates de l'océan Indien 1690-1730 ». C'est pour lui rendre une sorte d'hommage que je publie aujourd'hui les notes que je lui avais alors communiquées. Elles sont disponibles sur la nouvelle version du Diable Volant, maintenant hébergé sur Github, et qui est en reconstruction:

Pour la petite histoire, l'expédition de Rayner et de ses camarades en mer Rouge fut la seconde du genre entreprise par des flibustiers ayant armé aux Antilles. La première est à porter au crédit du capitaine Handley et de sa compagnie lors d'une rocambolesque croisière, beaucoup plus intéressante et intriguante (à mon avis) que celle d'Every ou de Rayner, histoire que je raconterai peut-être un jour.

16 avril 2021

Amateurisme, numismatique et piraterie

Le 1er avril dernier, l'agence Associated Press (AP) publiait une curieuse histoire touchant la découverte, au Rhode Island, de pièces de monnaie d'origine arabe, découverte remontant à plusieurs années déjà. Selon le « détectoriste » — et historien amateur — Jim Bailey, auteur de cette découverte, ces pièces proviendraient de la prise du Ganj-i-Sawai, navire appartenant au Grand Moghol, prise réalisée par le pirate Henry Every en 1695. Plusieurs médias américains, scientifiques ou non, ont relayé la nouvelle; je l'ai moi-même lue pour la première fois dans le Smithsonian Magazine. En France, également, d'abord Le Monde, puis Le Figaro, ont emboîté le pas à l'AP.

Même si cette histoire n'est pas un poisson d'avril — sauf pour les médias qui l'ont publié et qui sont eux les dindons la farce —, elle repose sur des hypothèses qui, lorsque l'on s'y attarde un peu, ne tiennent pas la route. C'est l'exercice auquel s'est d'ailleurs livré Oliver Hoover, curateur adjoint de l'American Numismatic Society (ANS), dans un brillant petit texte publié sur Pocket Change, le blog de l'ANS.

Nous avons ici la preuve, encore une fois — et toujours une fois de trop —, que l'expression « historien amateur » rime avec amateurisme. C'est dommage pour ceux qui pratiquent l'histoire, ou toute autre discipline scientifique, en amateurs avec méthode et rigueur.

Pour ce qui est du capitaine Every, il y a des choses beaucoup plus intéressantes à apprendre à son sujet, et que ne savent pas toujours nos confrères anglais, puisque publié en français. Je vous invite donc à redécouvrir un vieux texte de Jacques Gasser sur les pirates en mer Rouge, où vous y retrouverez le fameux capitaine Every.

28 mars 2021

L'étrange méthamorphose de A. O. Exquemelin en J. Esquemeling

Cette curiosité agace les historiens et autres érudits depuis très longtemps déjà : pourquoi, les éditions anglaises originelles (1684) de l'oeuvre d'Alexandre Olivier Exquemelin donnent-elles comme auteur John Esquemeling?

Une réponse simple, et facile, serait (et elle l'est effectivement) que la toute première édition anglaise, celle du libraire William Crooke (1684), a été traduite à partir de l'édition espagnole, commise par le docteur Alonso de Bonne-Maison, qui écrit bien l'avoir faite à partir de :

« ...la Historia nuevamente impresa de los Piratas de la America, que J. Esquemeling, Francés de nación, escribió el año pasado e hizo imprimir en lengua flamenca... »

S'il est indéniable que cette traduction espagnole fut réalisée à partir du livre original en hollandais (De Americaensche zee-roovers), on peut s'interroger, à bon droit, pourquoi le docteur Bonne-Maison dit que l'auteur est J. [pour Jan ou Juan] Esquemelin, alors que cet original désigne celui-ci sous le nom de « A. O. Exquemelin ». S'est-il simplement trompé?

C'était d'autant peu probable qu'un compétiteur du libraire Crooke, nommé Thomas Malthus, fit paraître sa propre traduction anglaise, la même année 1684, qu'il dit avoir fait réaliser à partir d'un exemplaire de l'original hollandais, écrit par « J. Esquemeling ».

Il y a deux ans, lorsque je débutais mes recherches touchant Exquemelin, je tombai par hasard sur la thèse de Henrieke Korten, Boeckeniers zijn gaeuw in het schieten Jan ten Hoorns uitgave Americaensche zee-roovers (2011). À la fin de cette thèse (qui autrement contient maintes erreurs et absurdités touchant le chirurgien français, sa vie et son oeuvre), je trouvai une liste de livres publiés par Jan Claesen ten Hoorn, l'éditeur hollandais d'Exquemelin, et parmi cette liste, cette référence piqua ma curiosité :

Piratica America, of den Americaenschen zee-roover, Jan Esquemeling, 1678. 4°

Mme Korten avait eu la prévenance de citer la source de sa liste : The Short-Title Catalogue, Netherlands (STCN). Une recherche dans cette base de données me révéla qu'il existait bel et bien deux versions différentes de l'édition Ten Hoorn :

  1. Americaensche zee-roovers (1678), par A. O. Exquemelin, celle que tous ceux qui se sont intéressés à la question connaissent, avec son impressionnant frontispice;
  2. Piratica America, of den Americaenschen zee-roover (1678), par Jan Esquemeling, sans le frontispice gravé de la précédente, mais avec une toute nouvelle page de titre.

Le lecteur peut comparer la page de titre de la première provenant de l'exemplaire détenu par la Library of Congress (F2161 .E71) avec celle de la seconde, provenant du seul exemplaire connu de cette version, conservé à la bibliothèque de la Vrije Universiteit Amsterdam (XL.05626).

Voici ce que j'écris à propos de cette seconde version de l'édition hollandaise dans mon étude inédite sur Exquemelin :

Vers le même temps de la publication de l'édition allemande (1679) — peut-on le présumer —, la question du nom de l'auteur et celui du titre de l'ouvrage donna lieu, à Amsterdam même, à une pratique éditoriale assez déroutante. En effet, il apparaît que les derniers exemplaires que Ten Hoorn avait mis en vente dans sa librairie n'avaient pas de frontispice, mais plus important, qu'ils avaient une toute nouvelle page de titre, dont le texte, beaucoup plus bref, reprenait celui bilingue (latin et néerlandais) de la première partie de l'ouvrage : Piratica America, of den Americaenschen zee-roover. Chose encore plus étonnante, au lieu de « A. O. Exquemelin », l'auteur y est maintenant désigné sous le nom de « Jan Esquemeling ». Un seul exemplaire de cette version semble encore exister aujourd'hui, et il est conservé à la bibliothèque de l'université libre d'Amsterdam.

Pourquoi Ten Hoorn a-t-il procédé à ces changements pour le moins radicaux? Cette nouvelle page de titre semble d'ailleurs avoir été faite à la hâte, puisque le titre abrégé qui y figure a été composé avec exactement les mêmes caractères typographiques, de taille et de disposition identiques, que celle du titre de la première partie de l'ouvrage dont il s'est inspiré. Exquemelin a-t-il demandé lui-même au libraire de faire cette modification? C'est l'hypothèse la plus plausible. Alors pourquoi? Exquemelin était-il insatisfait du produit fini, car il était vraisemblablement absent d'Amsterdam lorsque le livre sortit des presses de Ten Hoorn? Quelqu'un avait-il remis au libraire le manuscrit sans l'autorisation de l'auteur? Si non, alors ce livre faisait-il à Exquemelin une publicité dont il n'avait pas besoin, compte tenu de ses ambitions? Lui avait-on, en effet, fait savoir que la position à laquelle il aspirait lui serait refusée si son nom était associé à un tel ouvrage? Ou plutôt à celui de l'éditeur qui n'avait pas la meilleure des réputations. Il est difficile de trancher. Une chose demeure : ces changements surviennent alors qu'Exquemelin quitte le service de l'Amirauté d'Amsterdam pour s'établir dans la ville et y exercer officiellement sa profession.

Pour ceux que la chose pourrait intéresser, vous pouvez consulter mes Collations sommaires des premières éditions de l'oeuvre d'Alexandre Olivier Exquemelin 1678-1699, contenant les liens vers les copies numériques les plus complètes de ces éditions que j'ai pu trouver.

25 février 2021

En feuilletant Exquemelin : le capitaine Roc, dit le Brésilien

Le 30 janvier dernier, je mentionnais l'étude inédite que j'avais faite concernant Exquemelin et son oeuvre.

Aujourd'hui, je vous propose, dans la même veine, une analyse de ce qu'Exquemelin raconte à propos du flibustier d'origine néerlandaise Roc le Brésilien (ou Rock Brasiliano, dans les versions anglaises), réputé pour sa cruauté envers les Espagnols. Il s'agit en fait d'une analyse comparée, comparée avec les sources manuscrites, autrement dit les documents d'archives. On pourra y constater que si certaines conclusions concernant le capitaine Roc, que l'on trouve dans les dictionnaires de pirates, reproduites ensuite bêtement dans Wikipedia, d'autres ne sont pas suffisamment étayées par les sources. Vous pourrez surtout y voir (ce qui est plutôt rare) le processus de réflexion qui conduit à accepter ou non certains faits qui sont rapportés par un chroniqueur comme Exquemelin. En effet, j'y arrive notamment à la conclusion que ce que ce chroniqueur rapporte à propos de ce capitaine (qu'il a pu rencontrer par ailleurs lors de l'entreprise de Panama) n'est que ouï-dire, et c'est pourquoi il est difficile de concilier son récit avec les autres sources contemporaines qui font référence à ce capitaine. Mais attention! Cela ne signifie pas pour autant qu'Exquemelin ne soit pas une source fiable pour ce qu'il rapporte ailleurs dans ses écrits.

Roc le Brésilien, de son nom véritable Gerrit Gerritsen, fut capitaine flibustier à la Jamaïque (où on le surnommait simplement Rocky), par intermittence seulement (comme plusieurs de ses contemporains), de 1665 à 1669. Durant la décennie suivante, il poursuivit sa carrière avec les Français de Saint-Domingue, et il finit pendu à Curaçao vers 1681 dans des circonstances qui demeurent obscures, ce dernier point étant un élément biographique tout à fait inédit.

Pour en savoir plus, consulter le texte En feuillant Exquemelin : le cas de Roc le Brésilien.

19 février 2021

En attendant Pirates des Caraïbes, no. 6

Depuis quelque temps, l'on spécule beaucoup dans les médias à propos du prochain Pirates of the Caribbean, sixième mouture, avec ou sans Johnny Depp, car l'acteur ayant fait les manchettes avec ses procédures de divorce, cela n'a pas plu du tout au très puritain Disney. Il faut dire que les films de cette série s'adressent d'abord et avant tout aux enfants, et il n'est pas bon que la principale vedette soit maintenant étiquetée, à tord ou à raison, comme un homme qui rudoyait son ex-femme... lui qui, dans cette série, joue un rôle pas très viril de pirate saltimbanque. Serait-il donc plus proche des vrais flibustiers dans sa vie privée? Blague de très mauvais goût évidemment.

Alors pourquoi  Disney, qui a dépensé des millions de dollars pour ces films insipides, n'investirait pas plutôt dans une véritable film de pirates, ou de flibustiers. Vous rigolez, la très puritaine Disney? Pourtant, ce ne sont pas les bonnes histoires qui manquent pour faire un excellent film d'aventure pour adultes, sans les monstres imaginaires et autres niaiseries du même genre. Évidemment, il faudrait montrer le côté obscur des écumeurs de mer : les massacres, la torture, des noirs réduits en esclavage, des viols... et oui, des batteurs des femmes, car il y en avait... comme aujourd'hui. C'était aussi cela le quotidien de ces hommes.

Apparemment, Netflix s'apprête à combler partiellement cette lacune avec un docu-fiction intitulé The Lost Pirates Kingdom. Personnellement, je suis très critique de ce genre de télédivertissement où l'on reconstitue avec des acteurs la vie de personnages historiques, mêlant allégrement la fiction avec la réalité historique que quelques experts, généralement tous américains ou britanniques, s'efforcent tant bien que mal de nous expliquer avec tous les poncifs du genre, mais semble-t-il que ce genre « m'as-tu vu » se vend très bien. J'ai regardé les deux minutes de la bande-annonce de ce docu-fiction, et je constate encore qu'il y aura bien des raccourcis dans cette série américaine. Mieux aurait vallu faire un vrai film de pirates, et un vrai documentaire sur le même sujet.

Si vous aimez le genre, je vous invite plutôt à visionner gratuitement le premier épisode (de deux) de La Buse: l'or maudit des pirates. Vous y verrez témoigner des experts français de la piraterie, notamment le professeur Philippe Hrodej et mon défunt ami Jacques Gasser, qui n'ont rien à envier à leurs homologues américains au chapitre des connaissances, et aussi curieux que cela puisse paraître, Jacques était devenu l'un des grands experts mondiaux des pirates anglais du début du XVIIIe siècle (les Barbe-Noire, Bellamy, et compagnie). Et si cela vous plaît, vous pourrez même visionner la suite sur le site du producteur... pour une poignée de pièces de huit.

7 février 2021

Anthologie de documents d'époque touchant la piraterie

Kris Lane et Arne Bialuschewski (éd.), Piracy in the Early Modern Era: An Anthology of Sources (Indianapolis: Hackett Publishing Company, Inc., 2019), 200 p. — https://www.hackettpublishing.com/piracy-in-the-early-modern-era-4323

Cette intéressante petite anthologie propose une sélection de documents d'époque concernant presque tous les aspects de la piraterie, au sens large, sur une période de deux siècles, 1520 à 1720. Plusieurs des documents qui la composent se rapportent d'ailleurs aux flibustiers des Antilles. Chaque texte est précédé d'une courte mise en contexte, et plusieurs d'entre eux sont suivis d'une série de questions pour alimenter la réflexion sur le sujet présenté. Destiné d'abord et avant tout pour l'enseignement de l'histoire, cette anthologie ne manquera pas toutefois de plaire à tous ceux qui s'intéressent au phénomène de la piraterie durant ce que l'on pourrait appeler son âge d'or, du point de vue occidental.

Les auteurs, les professeurs Lane et Bialuschewski, comptent parmi les plus éminents spécialistes de la piraterie du début de l'époque moderne.

Leur livre peut être prévisualisé sur Google Books.

6 février 2021

Mésaventures de certains camarades de William Dampier en Asie du Sud-Est

Dans les derniers jours de 2019, j'ai coécrit un petit texte, en anglais, avec un sympathique professeur australien à la retraite, Andrew F. Smith, collaborateur du Borneo Research Bulletin. L'article en question, concluait deux autres commis précédemment par le professeur Smith à propos d'un aventurier d'origine irlandaise nommé Thomas Gullock, ancien flibustier des Antilles devenu un marchand peu scrupuleux, en lien avec les pirates européens qui fréquentèrent l'océan Indien à la fin des années 1690 et au début des années 1700.

Gullock avait appartenu à l'équipage du Cygnet, capitaine Charles Swan, qui fut l'un des rares capitaines non-espagnols à avoir traversé la grande mer du Sud (l'océan Pacifique) au XVIIe siècle. Il avait donc été l'un des compagnons de William Dampier. 

Je n'ai évidemment pas pu inclure toutes les trouvailles (et elles sont nombreuses) que j'ai faites concernant les aventures « asiatiques » des flibustiers du Cygnet, qui revenaient de faire la course contre les Espagnols aux côtes pacifiques des Amériques.  Le séjour de plusieurs mois que ces flibustiers firent chez le sultan de Mindanao (aux Philippines) a été peu étudié, ainsi que les circonstances de la décision du deux tiers d'entre eux d'abandonner leur capitaine et ses partisans chez ce monarque musulman. De même, la course subséquente du Cygnet, sous leur conduite, vers la mer de Chine méridionale jusqu'à Madagascar, et le sort de ceux qui, comme Gullock, demeurèrent à Mindanao.

La référence de l'article est la suivante :

Andrew F. Smith et Raynald Laprise, « Thomas Gullocks's arrival in the East Indies », Borneo Research Bulletin, vol. 50 (2019), p. 25-31.

Une copie de ce texte peut être lue dans The Free Library. Malheureusement, l'article n'y est pas mis en forme, et cela peut rendre sa lecture un peu ardue.

4 février 2021

Quelques réflexions sur l’étymologie du mot « flibustier »

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On a longtemps cru, et on dit encore aujourd'hui que le mot « flibustier » tire son origine, soit de l'anglais freebooter, soit du néerlandais vrijbuiter. La vérité est un peu plus complexe. En effet, un examen attentif, bien que succinct, des dictionnaires et lexiques anciens, ainsi que des sources imprimées et manuscrites, permet d'arriver à un constat quelque peu différent.

Examinons d'abord la définition que donne du « flibustier » l'ouvrage que l'on pourrait qualifier du dictionnaire le plus important et le plus complet de la langue française du siècle de Louis XIV, celui de Furetière :

« C'est un nom qu'on donne aux corsaires ou aventuriers qui courent les mers des Antilles et de l'Amérique. Ce qui vient de l'anglais flibuster, qui signifie corsaire. »

Les sources de Furetière sont facilement identifiables. Pour la première partie de sa définition, il a puisé dans l'histoire des Antilles françaises du Dominicain Du Tertre. L'emprunt vient des deux derniers tomes de cette oeuvre, parus en 1671, là où le mot, sous sa forme « fribustier », apparaît pour la première fois dans un ouvrage imprimé. Du Tertre, n'en donne toutefois pas de définition formelle : il se contente d'associer, ici et là, le « fribustier » au corsaire ou l'aventurier dont les activités se limitent - on le devine du contexte - à l'Amérique.

Quant à la référence à l'étymologie anglaise du mot, Furetière l'a emprunté à la première édition française du livre d'Exquemelin, où on peut lire ceci :

« Voilà comment le petit nombre de ces aventuriers fut divisé en trois bandes, dont les uns s'appliquèrent à la chasse et prirent le nom de boucaniers, les autres à faire des courses, et prirent le nom de flibustiers, du mot anglais flibuster, qui signifie corsaire.... »

Or, Exquemelin est le seul contemporain à mentionner cette origine, ce qui laisse planer un doute quant à son exactitude. Certes, freebooter existe alors bel et bien, mais les Anglais l'ont eux-mêmes emprunté au néerlandais, comme en témoigne le lexicographe Edward Phillips à la fin des années 1650 :

« A Soldier that makes inroads into an enemies' Country, for Cattle, or any other commodity from the enemies' Country. It comes from the Dutch words frey, i. e. free, and beut, i. e. prey. The Italians call them Banditi. »

On remarque d'abord une chose. Freebooter ne s'applique pas particulièrement au domaine maritime, et il demeure un terme général servant à désigner tout homme de guerre qui fait des descentes en pays ennemi pour prendre du bétail ou tout autre biens, donc pour le pillage, élément essentiel sur lequel je reviendrai un peu plus loin. Le mot est également synonyme d'aventurier, ou soldat de fortune, ce que confirme, deux décennies plus tard, un lexique franco-anglais qui décrit ainsi le freebooter :

« Un aventurier, soldat qui cherche les fortunes et les aventures de la guerre au péril de sa vie. »

Vers le même temps, le très mondain Mercure Galant est sans doute plus proche de la vérité quant à l'étymologie de « fribustier » lorsqu'il écrit :

« ...le nom de fribustier... vient d'un mot allemand et hollandais, qui signifie pirate ou corsaire. Il a pourtant un sens plus honnête, et pourrait être confondu avec le mot d'Armateur, si ce n'est que ce dernier s'entend proprement des marchands et des capitaines qui montent les vaisseaux en course, au lieu que fribustier désigne tous ceux qui montent les vaisseaux, et qui font métier de courir la mer. Ce nom est particulier aux Français et aux Anglais des Isles d'Amérique. »

Mais, là encore, faut-il vraiment chercher dans l'allemand freibeuter et le néerlandais vrijbuiter l'origine du « fribustier » ou du « flibustier » français. C'est omettre que Furetière, en plus d'une entrée pour « flibustier » en a une pour « fribust », qu'il définit ainsi :

« C'est un vaisseau armé en cours qui fréquente les Isles de l'Amérique, et on appelle fribustiers, le capitaine et les gens de l'équipage de l'armateur. »

Or, l'on sait exactement où Furetière a pris ce mot et sa définition. Tous deux proviennent d'un dictionnaire de termes militaires commis par le comédien et érudit Guillet de Saint-George :

« Fribuste. Ce mot est principalement en usage dans les Isles françaises de l'Amérique pour dire un vaisseau armé en cours. Fribustier, signifie également le commandant, et les gens de l'équipage du vaisseau armateur. »

Ainsi « fribustier » serait simplement un dérivé de « fribuste », nom que l'on donnait aux navires corsaires dans les Antilles françaises. C'est ce que confirme, au-delà des lexiques et dictionnaires, les plus anciens documents manuscrits où « fribustier » apparaît pour la première fois.

Par exemple, en 1669, un officier de marine anonyme, après avoir discuté des origines du métier de « fribustier », mentionne plusieurs fois les « fribustes », que l'on déduit être, effectivement, les navires montés par ces hommes. :

« Il ne serait pas à propos d'entrer dans le détail de toutes les entreprises qu'ils exécutèrent, mais je dirai seulement qu'ils firent de riches butins et des actions accompagnées d'une hardiesse et d'un bonheur prodigieux jusqu'en l'année 1630 ou 1635, car les corsaires n'ayant pas de retraite dans l'Amérique revenaient en Europe avec leurs prises et se contentaient de faire 2 ou 3 voyages dans leurs vies. Mais, depuis que les Antilles furent habités par les Français et les Anglais, et les colonies en état de s'étendre, les Français occupèrent l'île de la Tortue, qui est à deux lieues de l'île de Saint-Domingue du côté du nord, et s'y établirent. Comme elle devint l'abord le plus ordinaire des corsaires, il y vint aussi des Français qui, ayant montés sur leurs vaisseaux, s'accoutumèrent à aller en course et furent appelés fribustiers, qui étaient au commencement un petit nombre. »
« Au reste, ils ne gardent aucune discipline dans le combat, ne forment ni corps, ni pelotons et observent seulement de tirer au sort qui donneront les premiers ou qui garderont les fribustes. (...)
« Deux fribustes françaises sorties de l'île de la Tortue en même temps les joignirent du côté de l'île de Cuba...
« Cet L'Olonnois fit une prise fort riche mais ayant donné à la côte, il perdit sur les rochers et sa prise et ses fribustes. (...)
« Les Anglais après être arrivés à Bocator et pêcher 5 ou 6 jours de la tortue et du lamantin, ils y laissèrent leurs fribustes ayant seulement pris un vaisseau de 80 tonneaux et 22 canots ou petites chaloupes...
« De sorte qu'ayant laissé le vaisseau de 80 tonneaux et 100 hommes pour le garder et le reste des fribustes qui avaient ordre de suivre et de s'y rendre un jour après, ils se mirent 400 hommes dans les 22 canots... »

Si quelques années plus tôt, en 1666 le gouverneur de la Tortue parlait lui aussi du navire appelé « fribuste », il expliquait aussi qu'il s'agissait d'un type d'armement, bref d'une activité consistant à faire la guerre par mer :

« L'autre tiers seraient des enfants de 13, 14 et 15 ans, duquel nombre une partie serait distribuée aux habitants qui pourraient en faire passer sur ce nombre à leur frais et aller en France; pour cet effet; l'autre partie serait envoyée en fribuste.
« Et je puis assurer que le passage desdits 1000 à 1200 personnes est bien plus nécessaire que tout autre chose et, pourvu qu'on eût soins d'armer et discipliner ceux qui seraient en état de l'être et en envoyer en fribuste - comme je viens de dire - le plus qu'on pourrait, je réponds que dans dix mois nous serons aussi forts par mer que les Anglais... mais, si nous n'avons des gens aguerris (et nous n'avons point d'autres moyens d'en avoir qu'en les envoyant sur des vaisseaux armés en guerre, ce que nous appelons fribustes), infailliblement il y aura toujours doute à l'événement de nos entreprises... »

Ces deux exemples - quoique qu'ils soient les seuls, encore que dans un corpus documentaire somme toute très pauvre - prouvent bien que « fribustier » fut formé à partir de « fribuste ». C'est d'autant plus significatif qu'avant 1663, on cherchera, sans doute, en vain quelque référence écrite que ce soit aux fribustiers ou flibustiers, lorsqu'on trouve deux cas d'emploi de fribuste, le premier pour désigner l'armement d'un navire en guerre, et le second, le navire lui-même engagé dans cette activité.

Le premier cas, qui est bien connu, provient d'une relation des voyages faits par un certain Daniel Le Hirbec. On l'a souvent, à tord, cité comme étant la plus ancienne source contenant le mot flibustier. Comme on peut le constater, Le Hirbec y parle plutôt de fribuste :

« ...je m'embarquai aux Niefvres dans le navire du capitaine Denis, Anglais, lequel était en fribuste et venait de courir le Pérou... »

Le voyage de cet Anglais, armé en fribuste, donc en guerre contre les Espagnols, au départ de l'île de Nevis, se déroulait au début des années 1640, soit près d'un quart de siècle avant les premiers mentions connues de fribustier ou flibustier.

Le second emploi ancien de fribuste provient d'un petit livre peu connu, récemment numérisé par la Bibliothèque nationale de France, oeuvre d'une soldat de fortune nommé René de Monpilliers. Et cette fois, on y désigne le navire lui-même :

« Nous étions dans une fribuste d'Hollande, munie de vingt-huit pièces de canon. »

Ce navire hollandais qui avait fait escale dans la partie française de Saint-Christophe, lui aussi au début des années 1640, était effectivement armé pour prendre contre les Espagnols et les Portugais, tant en Amérique qu'en Afrique.

Ayant établi que fribustier, ou son dérivé flibustier, tire son origine de fribuste, qui désigne soit l'activité du corsaire et pirate des Amériques, ou le navire servant à exercer cette activité, essayons maintenant de déterminer celle de cet autre mot.

Il est vrai qu'en anglais, en plus du mot freebooter, on rencontre également, dès le début du siècle, le verbe to freeboot, qui signifie « piller ». Par ailleurs, nous avons vu précédemment que le lexicographe anglais Phillips affirme que, dans sa propre langue, freebooter fut formé à partir de vrijbuit, de vrij, libre, et buit, butin, expression néerlandaise d'origine allemande. Le mot fribuste est-il pour autant un emprunt du français à l'anglais? Je ne le pense pas. En effet, dans les années 1640, et même dans les décennies précédentes en reculant jusqu'au tout début du siècle, les Anglais qui font la course contre les Espagnols constituent une infime minorité, bien loin derrière les Français, et surtout les ressortissants des Provinces Unies des Pays-Bas. En fait, comme je l'ai expliqué dans un texte précédent sur le mulâtre Diego de Los Reyes, la Geoctroyeerde Westindische Compagnie (GWC) considérait alors le pillage des navires et des cités espagnols en Amérique comme sa chasse gardée :

« Ses corsaires vont même jusqu'à empêcher les Français, bien qu'ils soient leurs alliés dans la guerre contre l'Espagne depuis 1635, de faire la course, ou du moins, ils leur interdisent de se poster aux endroits où se font les meilleures prises. De plus, Jol et les autres capitaines de la GWC ont su récemment que la Providence Island Company armait contre les Espagnols, et ils ont envoyé des lettres en Hollande pour savoir pourquoi ces Anglais osaient attaquer ainsi une nation qui était en paix avec la leur, et pour demander que des représentations soient faites à Cour d'Angleterre afin que cesse cette compétition, sinon ils couleraient tout corsaire de cette compagnie anglaise qu'il rencontrerait dans la mer des Antilles. »

Or, lorsque, dans les années 1640, Monpilliers dit s'embarquer dans un fribuste hollandais, ou Le Hirbec dit qu'un Anglais était armé en fribuste, il faut peut-être comprendre que, dans les deux cas, les capitaines, les équipages et les navires en question n'avaient aucune commission leur permettant de prendre sur les Espagnols, ou du moins les autorisations qu'ils portaient étaient pour le moins douteuses, et qu'ils agissaient en vertu du principe voulant qu'« Au-delà des Lignes des Amitiés », tout prise sur les Espagnols ou les Portugais est bonne de facto, puisque ceux-ci considéraient tout navire étranger s'aventurant dans leurs colonies comme un pirate. Mais, à mon avis, il faut y voir plus simplement d'abord le fait que ces aventuriers venaient uniquement en Amérique à dessein d'y piller l'Espagnol, sans pour autant relever directement de quelque pouvoir établi comme la GWC, la Providence Island Company, ou le roi de France, et ce qu'ils portassent ou non une commission émise par l'une de ces autorités, et ensuite que les aventuriers néerlandais étant les plus nombreux, c'est leur vocabulaire que les Français ont adopté puis adapté dans leur langue.

« Sortir en mer pour le pillage », expression qui peut résumer le métier de flibustier, correspond d'ailleurs à une autre expression qui existait de longue date, en néerlandais « op vrijbuit te varen ». En français de l'époque, on dirait « écumer les mers » ou « faire le cours », c'est-à-dire la course. Le vrijbuit était donc ce qu'on appelait alors, le « pillage », cette partie du butin que l'on ne partage avec personne, que Furetière définit ainsi :

« Vol qui se fait dans la confusion, dans le désordre, dans la licence de la guerre... en termes de mer, se dit de la dépouille des coffres, hardes et habits de l'ennemi pris, et de l'argent qu'il a sur lui jusques à trente livres. Le reste s'appelle butin, qui est le gros de la prise. Ces mots se confondent quelquefois. »

Reste la non moins épineuse question du S, entre le U et T. En effet, cette lettre ne se retrouve ni dans vrijbuit ni dans vrijbuiter. Alors que fait-elle dans le mot « flibustier ». Pour certains linguistes, ce S aurait été muet à l'origine, du moins jusqu'au début du XVIIIe siècle. En effet, il était coutume au XVIIe siècle, dans la langue écrite, d'ajouter pour certain mot un S muet entre une voyelle et la lettre T. Une étude plus poussée serait toutefois nécessaire pour déterminer si ce S était bien muet à l'origine, ou, s'il était prononcé dès le départ, par quel procédé phonétique cela a pu être possible.

Raynald Laprise.

30 janvier 2021

Pour en finir avec les faussetées écrites à propos d'Exquemelin et son livre

Parmi les projets de recherche sur lesquels je travaille depuis ces deux ou trois dernières années, il y en a un qui concerne Alexandre Olivier Exquemelin. Pour une partie, mon défunt ami Jacques Gasser avait également contribué à ce projet : il en fut d'ailleurs l'instigateur grâce à quelques découvertes qu'il avait faites, notamment, dans les archives des anciens notaires d'Amsterdam.

Aujourd'hui encore, l'oeuvre d'Exquemelin(1) demeure un témoignage incontournable pour qui étudie l'histoire des flibustiers, bien qu'elle soit plus que cela, puisqu'elle présente des renseignements intéressant les sciences naturelles, la géographie et l'ethnographie de l'Amérique du XVIIe siècle.

Or, depuis plus de trois siècles, bien des choses, pour la plupart fausses, ont été écrites sur l'auteur et son oeuvre alors que nous ne savons pratiquement rien ni de l'un ni de l'autre. Pourtant, il y a bien longtemps, un érudit néerlandais avait montré où il fallait orienter les recherches concernant l'auteur, c'est-à-dire dans les archives de son pays : il y avait découvert que l'homme était originaire de Honfleur, qu'il avait été résident d'Amsterdam et membre de la guilde des chirurgiens de cette ville(2). Beaucoup plus tard, puisant aux mêmes sources, on trouvait une procuration donnée par Exquemelin en 1674. Entre ces deux découvertes, un étudiant en médecine faisant du chirurgien honfleurais l'objet de sa thèse, en donnait une biographie fort détaillée... qui se révéla être, une vaste supercherie(3)! L'oeuvre n'a guère été mieux servie. Aussi souvent citée que critiquée par les historiens, proie également des spécialistes de la littérature, elle n'a jamais fait l'objet d'une véritable édition critique(4).

Une relecture, à la fois de l'homme et de son oeuvre, s'impose donc. Je l'ai refaite, à la lumière de renseignements inédits, qui montre notamment qu'Exquemelin était polyglotte et catholique — aspect essentiel, car l'on a beaucoup brodé sur le thème de sa religion —, qu'il fut engagé dans la traite négrière et que, dans les dernières années de sa vie, il résidait dans une cité bien connue de France. Dans la foulée, j'ai ré-analysées les premières éditions de son oeuvre.

Mon travail ne prétend évidemment pas être une biographie complète de l'homme, pas plus qu'il ne constitue une étude exhaustive de ses écrits. Son objectif, plus modeste, est de proposer un nouveau canevas pour les chercheurs qui étudieront Exquemelin à l'avenir.

Pourquoi je ne présente pas le fruit de mon travail aujourd'hui dans ces pages? C'est parce que je suis toujours en réflexion quant à savoir si je dois chercher un éditeur ou non pour publier cette recherche inédite. Le problème auquel je suis confronté dans cette quête est que mon texte est beaucoup trop long pour une revue savante, mais trop court pour en faire livre. À suivre...

 


Notes

(1) La première édition française est intitulée Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes, contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années (Paris: Jacques Le Febvre, 1686), 2 vol. Un copie numérique de cet ouvrage, réalisée à partir de l'exemplaire  détenue par la John Carter Brown Library (cote F686 .E96h v. 1-2), est disponible en ligne dans Internet Archive, aux adresses suivantes : https://archive.org/details/histoiredesavant01exqu et https://archive.org/details/histoiredesavant02exqu.

(2) Leonardus Cornelis Vrijman, « L'identité d'Exquemelin : Les premières éditions de l'Histoire des Avanturiers », Bulletin de la Section de géographie du Comité des travaux historiques et scientifiques, T. XLVIII (1933), p. 43-57.

(3) Michel-Christian Camus, « Une note critique à propos d'Exquemelin », Revue française d'histoire d'outre-mer, T. 77, no 286 (1er trimestre 1990), p. 79-90. — La thèse fautive est l'oeuvre de Henri Pignet, Alexandre-Olivier Exquemelin, chirurgien des aventuriers 1646-1707 (Montpellier: Imprimerie de La Presse, 1939), 135 p. Les élucubrations de Pignet sont (malheureusement) passées en anglais à cause d'un texte de Herman de la Fontaine Verwey, « The ship's surgeon Exquemelin and his book on the buccaneers », Quaerendo, 4, no 2 (janvier 1674), p. 109-131.

(4) Un effort louable fut fait en ce sens par Réal Ouellet et Patrick Villiers (Alexandre-Olivier Exquemelin, Histoire des aventuriers flibustiers [Québec/Paris: Presses de l'Université Laval/Sorbonne Université Presses, 2005], 595 p.), mais avec le recul des années, le résultat est tout sauf convainquant.