Parmi les projets de recherche sur lesquels je travaille depuis ces deux ou trois dernières années, il y en a un qui concerne Alexandre Olivier Exquemelin. Pour une partie, mon défunt ami Jacques Gasser avait également contribué à ce projet : il en fut d'ailleurs l'instigateur grâce à quelques découvertes qu'il avait faites, notamment, dans les archives des anciens notaires d'Amsterdam.
Aujourd'hui encore, l'oeuvre d'Exquemelin(1) demeure un témoignage incontournable pour qui étudie l'histoire des flibustiers, bien qu'elle soit plus que cela, puisqu'elle présente des renseignements intéressant les sciences naturelles, la géographie et l'ethnographie de l'Amérique du XVIIe siècle.
Or, depuis plus de trois siècles, bien des choses, pour la plupart fausses, ont été écrites sur l'auteur et son oeuvre alors que nous ne savons pratiquement rien ni de l'un ni de l'autre. Pourtant, il y a bien longtemps, un érudit néerlandais avait montré où il fallait orienter les recherches concernant l'auteur, c'est-à-dire dans les archives de son pays : il y avait découvert que l'homme était originaire de Honfleur, qu'il avait été résident d'Amsterdam et membre de la guilde des chirurgiens de cette ville(2). Beaucoup plus tard, puisant aux mêmes sources, on trouvait une procuration donnée par Exquemelin en 1674. Entre ces deux découvertes, un étudiant en médecine faisant du chirurgien honfleurais l'objet de sa thèse, en donnait une biographie fort détaillée... qui se révéla être, une vaste supercherie(3)! L'oeuvre n'a guère été mieux servie. Aussi souvent citée que critiquée par les historiens, proie également des spécialistes de la littérature, elle n'a jamais fait l'objet d'une véritable édition critique(4).
Une relecture, à la fois de l'homme et de son oeuvre, s'impose donc. Je l'ai refaite, à la lumière de renseignements inédits, qui montre notamment qu'Exquemelin était polyglotte et catholique — aspect essentiel, car l'on a beaucoup brodé sur le thème de sa religion —, qu'il fut engagé dans la traite négrière et que, dans les dernières années de sa vie, il résidait dans une cité bien connue de France. Dans la foulée, j'ai ré-analysées les premières éditions de son oeuvre.
Mon travail ne prétend évidemment pas être une biographie complète de l'homme, pas plus qu'il ne constitue une étude exhaustive de ses écrits. Son objectif, plus modeste, est de proposer un nouveau canevas pour les chercheurs qui étudieront Exquemelin à l'avenir.
Pourquoi je ne présente pas le fruit de mon travail aujourd'hui dans ces pages? C'est parce que je suis toujours en réflexion quant à savoir si je dois chercher un éditeur ou non pour publier cette recherche inédite. Le problème auquel je suis confronté dans cette quête est que mon texte est beaucoup trop long pour une revue savante, mais trop court pour en faire livre. À suivre...
Notes
(1) La première édition française est intitulée Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes, contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années (Paris: Jacques Le Febvre, 1686), 2 vol. Un copie numérique de cet ouvrage, réalisée à partir de l'exemplaire détenue par la John Carter Brown Library (cote F686 .E96h v. 1-2), est disponible en ligne dans Internet Archive, aux adresses suivantes : https://archive.org/details/histoiredesavant01exqu et https://archive.org/details/histoiredesavant02exqu.
(2) Leonardus Cornelis Vrijman, « L'identité d'Exquemelin : Les premières éditions de l'Histoire des Avanturiers », Bulletin de la Section de géographie du Comité des travaux historiques et scientifiques, T. XLVIII (1933), p. 43-57.
(3) Michel-Christian Camus, « Une note critique à propos d'Exquemelin », Revue française d'histoire d'outre-mer, T. 77, no 286 (1er trimestre 1990), p. 79-90. — La thèse fautive est l'oeuvre de Henri Pignet, Alexandre-Olivier Exquemelin, chirurgien des aventuriers 1646-1707 (Montpellier: Imprimerie de La Presse, 1939), 135 p. Les élucubrations de Pignet sont (malheureusement) passées en anglais à cause d'un texte de Herman de la Fontaine Verwey, « The ship's surgeon Exquemelin and his book on the buccaneers », Quaerendo, 4, no 2 (janvier 1674), p. 109-131.
(4) Un effort louable fut fait en ce sens par Réal Ouellet et Patrick Villiers (Alexandre-Olivier Exquemelin, Histoire des aventuriers flibustiers [Québec/Paris: Presses de l'Université Laval/Sorbonne Université Presses, 2005], 595 p.), mais avec le recul des années, le résultat est tout sauf convainquant.